De Mayotte ou de la Réunion, de quelle manière appréhender la notion de patrimoine, comment en distinguer les éléments à protéger, que restaure-t-on et comment restaure-t-on ?
« Tu comprends ce qui reste du monument et ce par quoi il s’incarne c’est la matérialité, tu dois t’attacher à restaurer la matière ».
Je me souviendrai longtemps de cette affirmation péremptoire assénée de manière convaincue par une personnalité qualifiée métropolitaine lors d’un de ses passages fugaces sur l’ile de Mayotte.
Mayotte, toujours dans l’actualité du moment, entre crise de l’eau, crise migratoire, crise sociale et crise volcanique, dans un état de nécessité absolue qui relègue les dissertations de doctrines dans le champ des futilités inaudibles.
Non loin, dans la même latitude, l’île de la Réunion, moins troublée, car le temps a permis d’y installer les institutions, les collectivités et les acteurs à l’image de ceux existant dans l’hexagone.
Mais là, lorsqu’un entrepreneur vous annonce procéder à la réhabilitation d’un bâti, il envisage de commencer par déconstruire et il faudra attendre la fin des cris d’orfraie de la presse locale et des réseaux sociaux pour commencer à négocier sereinement le projet.
Si les questions du premier alinéa semblent iconoclastes, celles qui suivent le sont plus encore. Doit-on conserver un patrimoine qui n’a pas été conçu pour durer ? Quelle délimitation d’ensembles urbains protège-t-on avec un secteur patrimonial, lorsque la diversité des architectures juxtaposées, qui est à l’image de celles des communautés de peuplement, nous éloigne de cette même notion “d’ensemble urbain homogène” ?
Qu’en penseraient Boito ou Giovannoni, dont les théories sur les doctrines de réhabilitation nous ont été transmises lors de notre enseignement chaillotin, « pour le comblement des lacunes pouvoir distinguer les éléments nouveaux de ceux d’origine de manière à ne pas créer un faux artistique »
Et si ce faux artistique avait été prévu et souhaité par le concepteur, comment restaurer sans trahir ?
Outre les caractéristiques “tropicales” de l’habitat traditionnel de la Réunion qui cherche l’ombre et la circulation de l’air par son aménagement paysagé, les cases étaient constituées d’un assemblage de petits volumes et même si la volonté d’ostentation conduit à produire un plus grand gabarit, ce sont les parties non visibles qui obéissent à la règle précédente (voir feue- et feu -la grande maison Moreau, qui vient d’être ravagée par un incendie,– une grande maison de plan rectangulaire mais avec trois toitures, deux chéneaux et deux gouttières, dispositions à priori mal-indiquées pour s’adapter aux pluies tropicales).
Plus que des aménagements successifs, gageons que l’intention de séquencer ainsi le bâti est une manière de tenter de se soustraire aux agressions des conditions climatiques : la dépression tropicale de forte intensité -le cyclone– qui passe, et parfois repasse, sur des structures souvent fragilisées par des attaques de termites.
Le couvrement de la “varangue” (terrasse couverte) en est un parfait exemple : un toit en retroussi avec des chevrons indépendants, soit un toit “fusible” dont l’envol aux vents cycloniques n’emportera pas celui de la partie habitable.
Et, le beau temps revenu, le sinistré refait, à l’identique sans interroger la notion de faux artistique ₋ Si tonton i di oui, rod pa kosa va di tantine.
Remarquons que depuis le temple Pendiali (édifice religieux hindou) aux environs de l’usine du Gol à Saint-Louis se dessine la silhouette de la ville d’où émergent, dans la même perspective, le très élégant minaret de la mosquée et le clocher de l’église. Dans la ville voisine de Saint-Pierre, le vieux temple Guan Di (édifice religieux chinois) voisine avec une case créole traditionnelle et une “maison cube béton”.
Éclectisme des constructions, diversité des styles et exotisme des architectures archétypales importées répondent au “vivre ensemble” réunionnais constitutif de la culture locale. Si l’on considère que de ce chaos supposé se dégage une richesse urbaine, rien ne s’oppose à la création de sites patrimoniaux remarquables ni à l’invention de la notion d’ensembles urbains hétéroclitement homogènes.
Très loin de l’hexagone, l’éloignement géographique est à l’image de l’éloignement des critères d’appréciation habituels, une notion de patrimoine importée peinera à s’incarner (un peu comme sont, en climat tropical, les architectures importées de murs-rideaux en regard du confort thermique des locaux).
Soyons éclectique… sûrement ; pastichons… peut être, notre action sur le patrimoine nécessitera l’adaptation des doctrines à la réalité des territoires.